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La lecture d’un roman historique nous offre le plaisir d’une œuvre de fiction tout en nous replongeant dans une époque révolue qui lui prête son décor. Une fois le livre refermé, nous souviendrons-nous que les faits et les personnages ont été adaptés au récit et réinterprétés par un auteur soucieux de servir son scénario, ou garderons-nous en mémoire les anecdotes contées comme des vérités historiques ? Meilleur sera le roman, et moindre sera notre prudence, car il restera gravé dans notre mémoire, et la distinction entre fiction, semi-fiction et faits deviendra ténue dans notre esprit.

Selon Jacques Laurent, qui rédigea une introduction à La reine Margot, si Walter Scott conserve la paternité du genre, Alexandre Dumas lui donne ses lettres de noblesse, même si Balzac, plus porté vers une peinture de son époque que vers le récit historique revisité, nous a offert Les chouans, une œuvre qui réconcilia des générations de collégiens avec un auteur imposé. Laurent insiste sur le fait que Dumas est pour le moins contraint de respecter les traits et les évènements les plus connus pour ne pas être pris en défaut (« Henri IV ne peut apparaître roux et glabre »). Cependant, si la trame générale ne dévie pas du récit des historiens, les personnages de second plan, nécessaires à l’intrigue, et les détails de l’intrigue elle-même, se libèrent de cette contrainte pour rendre au roman une vigueur littéraire que n’auraient peut-être pas les évènements tels que rapportés par un chroniqueur, bien que certains récits vécus dépassent parfois la fiction.

M’interrogeant sur le crédit qu’il faut donner aux romans historiques maritimes, nombreux et souvent brillants, je me suis appuyé sur trois livres relativement récents : À Islande de Ian Manook envoie en 1904 dans un petit port islandais une infirmière paimpolaise et une religieuse danoise qui tentent de soulager les peines physiques des forçats de la pêche à la morue. Dans Le paquebot, Pierre Assouline, nous conte la croisière dramatique du Georges Philippar (1932) qui couta la vie à Albert Londres. Enfin, Fabien Clauw crée le personnage de Gilles Belmonte, un capitaine dans la France post-révolutionnaire, le héros de sa trilogie (Pour les trois couleurs – Le trésor des Américains – Le Pirate de l’indien).

Combat au large de Carthagène
Sam Scott – National Maritime Museum

Les trois romans ont une égale qualité d’écriture et révèlent un même souci de documentation, évitant les erreurs qui disqualifieraient leurs propos, mais leur approche et leur objectif diffèrent.

Ian Manook est touché par la dureté du destin de ces pêcheurs dont les conditions de vie valaient celles du bagne, et les aventures des personnages de fiction servent d’abord l’aspect documentaire de l’ouvrage. Si la description des souffrances physiques et morales sonne juste, elle est servie par les drames que les héros vivent et qui illustrent le message social que l’auteur souhaite faire passer. Les dialogues ont le même but, mais ils détonnent parfois, car ils semblent mieux s’accorder à notre culture sociale et à nos émotions d’hommes du XXIème siècle qu’à la mentalité de l’époque.

Pierre Assouline est, certes, un maître dans la reconstitution historique (Gaston Gallimard, Lutetia…), et la distance qui sépare ses artifices littéraires de la réalité historique est bien difficile à mesurer. Ses descriptions du navire, de ses défauts et des incidents sont irréprochables. Le cadre culturel et social tel que décrit reflète bien l’époque inquiète d’avant-guerre à bord d’un paquebot sur lequel flânerie, dilettantisme et érudition se côtoient. Le style est brillant, et l’évocation de la lenteur du navire, qui répond à l’ennui qu’elle distille, reste vivante. Là encore, les dialogues semblent être les écueils du genre : s’ils sont nécessaires à la vie du roman, ils tendent à épouser des thèses dont je ne suis pas convaincu qu’elles auraient été ainsi exprimées á l’époque. L’auteur, par sa connaissance des évènements dramatiques qui vont débuter en 1933 et de leur enchaînement, prête à son héros une confortable prémonition et des opinions qu’attendent les lecteurs du XXIème siècle. La mort du grand reporter Albert Londres dans l’incendie du Georges Philippar, semble être le fruit d’une enquête à laquelle nous voulons donner foi, mais c’est toute l’ambiguïté du roman historique d’offrir au lecteur un cadre littéraire attrayant en lui laissant le soin de distinguer fiction, hypothèses et réalité.

Sur l’épave de la frégate Apollo
William H. Overend – Yale Center for British Art

Fabien Clauw privilégie l’action à la thèse, même si les considérations humaines ne sont pas absentes de son brillant récit. Les aventures de Gilles Belmonte nous embarquent sans arrière-pensée vers des rivages hostiles et des batailles navales, et le cadre historique n’est rien d’autre que la scène du roman. On rejoint Patrick O’Brian et de C.S Forester, pour le plus grand plaisir des amateurs de cape et d’épée en haute mer. Fabien Clauw s’éloigne des images d’Epinal et s’efforce de nous restituer l’effroyable promiscuité des longues semaines en mer, la cruauté des carnages au canon et les ravages de la faucheuse parmi les très jeunes gens partis avec des espoirs de gloire. Il ne prétend pas nous livrer autre chose qu’un roman d’aventures, bien documenté, bien écrit, et il ne vient pas à l’esprit du lecteur de prendre pour argent comptant les péripéties politiques et navales du héros.

La conclusion ne coule pas de source. Lire un roman historique est d’abord un plaisir et une saine distraction quand celui-ci est bien construit et bien écrit. Le lecteur reste cependant son propre filtre face aux situations imaginées par l’auteur. De la pure fiction appuyée sur un décor d’époque à la reconstitution romancée, il y a toute une gamme de styles et d’intentions.

Un lecteur
A.B. Greene – Missouri History Museum

Simplifions : quand le roman historique a pour cadre une période encore sensible – je pense, par exemple, aux guerres de Vendée ou à la Seconde Guerre mondiale – le risque est grand de voir l’auteur utiliser son scénario pour livrer un message ou réinterpréter les faits. Le cinéma nous donne de nombreux exemples de scénarios contestés par les historiens pour leur présentation tendancieuse. Si l’auteur utilise l’époque comme un décor pour un récit dont la fiction est évidente, le risque est moindre de lire l’histoire à travers un prisme.

J’écrivais que la conclusion ne va pas de soi, mais le mot de la fin semble évident : le lecteur soucieux de découvrir les faits dans leur réalité historique doit privilégier les témoignages d’époque, dont la vitalité vaut souvent le roman le plus imaginatif, et acquérir les volumes édités par les Editions Voilier Rouge !

Ancien Capitaine de 1er Classe de la Navigation Maritime, membre de la rédaction de Jeune Marine et l'équipe éditoriale de la maison.

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